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"La ghettoïsation ethnique et culturelle est un danger pour la condition des femmes" prévient la féministe toulousaine Fatiha Boudjahlat

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8 mars 2021 à 13h51 par La Rédaction

En cette journée internationale pour les droits des femmes : entretien avec l’enseignante, lauréate du prix de la laïcité 2019.

 

Elle est une voix féministe qui compte désormais dans le débat, Fatiha Boudjahlat, enseignante toulousaine d’histoire-géographie, autrice de deux ouvrages et dont le troisième sort dans un mois aux Editions du Cerf (« Les Nostalgériades, Algérie, jérémiades »).

Cette féministe dite « universaliste » ne rate pas une occasion de croiser le fer notamment sur les réseaux sociaux, pour réaffirmer les combats qui lui sont chers : la lutte contre l’obscurantisme religieux, notamment islamique « la bigoterie », vecteur selon elle d’un patriarcat trop souvent banalisé « quand ça relève de l’islam, il ne faut rien dire » s’émeut-elle.  

Questionnée sur l’urgence des combats féministes en France en 2021, elle répond du tac au tac « il faut faire interdire les certificats de virginité, la polygamie, le voilement des fillettes, faire disparaître les violences sexuelles… » Si le danger principal ne se cantonne pas aux quartiers prioritaires ou populaires « car il a été prouvé que les violences sexuelles et sexistes ne sont pas liées au milieu social ou à un espace géographique » ; en revanche selon elle « la ghettoïsation ethnique et culturelle associée à une religion patriarcale » représente un risque pour la condition féminine.

 

Des déplacements purement "utilitaires" des femmes dans les quartiers ghettoïsés ?

Cette Algérienne élevée en France puise dans son histoire pour dénoncer les principales entraves à la liberté des femmes dans les quartiers sensibles « cela prend racine dans la religion […] toute religion monothéiste est patriarcale. » Les femmes ont tendance, estime-t-elle, à ne pas y avoir « le même accès à l’espace public», leurs déplacements y seraient purement utilitaires  « c'est la maman qui va aller faire ses courses ou aller chercher les enfants à l’école ». L’enseignante se remémore des bribes de son enfance, seule fille parmi sept frères : « quand j'étais petite, je devais faire le ménage, je n'avais pas accès à la MJC. Dès qu'un garçon s'inscrivait les filles devaient se retirer. Sinon ça jazzait... » se rappelle-t-elle.

 

Le corps de la femme ne doit pas être « le récipiendaire de l’honneur de la famille »

Fatiha Boudjahlat qui reste à jamais marquée par l’attitude de sa mère, voilée uniquement lors de ses séjours en Algérie « l’idée de ne pas la retrouver parmi ces mères recouvertes de ce drap blanc me terrifiait ».

Expérience qui n'est évidemment pas la seule explication aux engagements de l'écrivaine contre le voilement : pourquoi les hommes « dictent le comportement des femmes » ? Pourquoi choisissent-ils « quelle partie du corps doit être cachée » ? Le port du voile en public « fait partie intégrante de la domination de l’homme sur la femme dans la culture arabo-islamique » et l’enseignante en décrypte la symbolique. L’imposer aux femmes « c'est les forcer à intégrer ce système religieux patriarcal ».

Elle regrette que les femmes fassent trop souvent le choix « d'adhérer volontairement à un système qui les pénalise », des femmes « meilleur agent de reproduction du patriarcat. » « Porter le voile en France, dans un état de droit, c'est facile » mais, glisse l'autrice, les femmes n'y subissent pas « toute la panoplie » des interdictions propres aux régimes théocratiques  « comme en Iran où les femmes n'ont pas le droit de faire du vélo... » 

Elle dénonce pêle-mêle l'archaïsme du mariage musulman traditionnel, quand la famille de la mariée montre le drap ensanglanté de la nuit de noces. Pour garantir la pureté de la fille. La Toulousaine dénonce sans équivoque cette transformation du corps de la femme en « récipiendaire de l’honneur de la famille », réflexe « typiquement patriarcal ». « Exiger des femmes qu'elles soient discrètes, pudiques, vierges et honorables », il faut « le combattre partout ».

 

Un besoin d’universalité

Le prix de la laïcité 2019 regrette une inégalité de traitement entre les religions en France : « quand ça vient des catholiques, on n’hésite pas à le dénoncer, quand ça relève de l’islam, il ne faut rien dire parce que c’est la religion qui est censée être minoritaire, persécutée ».

L’enseignante ne voit qu’une solution : rendre universel le combat féministe. Pour elle, la tendance actuelle qui veut que « seuls les Blancs puissent parler des problèmes des Blancs, et les Arabes des problèmes des Arabes » est vouée à l’échec.

Tout cela dépend de l’éducation donnée aux enfants français de l’immigration « de troisième ou quatrième génération » pour « que ces comportements orthodoxes ne se reproduisent pas ». Il faut savoir « remettre les textes religieux dans leur contexte historique ». « Je refuse que selon votre couleur de peau ou votre religion, vous ayez des degrés de dignité à géométrie variable... » lâche Fatiha Boudjahlat dont les sources d'indignation ne sont pas près de se tarir.

 

 

Eléonore Ester, Paula Boher avec BV.