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DOSSIER - Expulsion d’un squat de migrants à Toulouse : pourquoi le problème est quasi insoluble ?

« Pas de colère ici mais du désespoir » expliquent les associations. Une centaine de « mineurs isolés » ont été expulsés ce vendredi matin d’un ancien Ehpad de l’avenue de Lardenne. Les autorités veulent les recenser, eux refusent et manifestent.

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26 août 2022 à 12h19 par Brice Vidal

 

Ils incarnent probablement le plus bas niveau de l’échelle sociale dans les pays européens. Se disputant ce triste titre avec les Roms et leurs camps de mendiants cornaqués par des groupes criminels. Ces jeunes migrants illustrent non seulement une société française assimilationniste à bout de souffle, mais aussi l’incapacité chronique de leur pays d’origine, gangréné par la guerre et la corruption, à leur proposer une vie digne. Jeunes mais souvent majeurs, ils arrivent par bateaux ou entassés dans des camions, à pied, en guenilles parfois. Et misent sur un eldorado occidental qui ne veut probablement plus d’eux.

 

Gaz lacrymogènes pour déloger ces « mineurs» souvent âgés d'une vingtaine d'années

 

Une centaine de squatteurs – une large majorité d’hommes - ont été expulsés ce vendredi d'un ancien Ehpad située avenue de Lardenne, tout proche d’un quartier cossu de la Ville rose. Des dizaines de policiers sont intervenus au petit matin pour les déloger. Les plus déterminés ont résisté et les forces de l’ordre ont dû employer les gaz lacrymogènes ; et "les taser" affirmaient des migrants, ce que démentent les forces de l'ordre. Isolés ils le sont, mineurs non, pas pour la plupart ; même si les associatifs matraquent le mot « gamins » pour les définir.

« Il n’y a pas de colère ici mais du désespoir car il n’y a pas de solution, pas d’endroit où aller, ce sont des SDF » explique Jennifer Gruman. Cette bénévole de l’association Autonomie 31 effectuait une veille dès 5h30 ce matin, « les cars de police sont arrivés vers 6h30 et ils sont entrés un peu avant 7 heures ». « Certains étaient en train de faire des démarches de scolarisation » souligne-t-elle « ils ont une haute idée de la France, pays des droits de l’homme et ne comprennent pas cette expulsion » qui fait pourtant suite à une décision de justice du tribunal administratif.

 

« On n’est pas des animaux »

 

Les yeux rougis par les gaz, criant leur colère, les jeunes migrants sortaient finalement du squat vers 10 heures et commençait un sit-in sur l’avenue de Lardenne ; Abdouramane, un Guinéen d’une trentaine d’années ne décolère pas « on a appelé le 115 mais il n’y a pas de places, on est ici avec nos petits frères pour survivre » explique-t-il « il y a des Maliens, des Guinéens, des Ivoiriens, des Camerounais, des Algériens ». « La police a lâché des gaz, nous ne sommes pas des animaux et la France a colonisé mon pays, nous sommes des mineurs isolés et ne méritons pas ça » criait Mohamed un autre Guinéen. La situation était tendue.

 

L’impasse administrative : la justice grippe-t-elle la machine ?

 

Au plan administratif, la plupart des squatteurs ne font pas de demandes d’asile mais des recours de minorité. Ils passent devant le Dispositif Départemental d'Accueil, d'Evaluation et d'Orientation des Mineurs Isolés (DDAEOMI) qui dans la plupart des cas les considèrent majeurs, et si le parquet valide la majorité « ils font un recours devant le juge des enfants qui dans 90% du temps les déclare mineurs » explique Jennifer Gruman. Selon nos informations à Toulouse, la juridiction classe en effet mineurs la quasi-totalité des dossiers, contredisant les rapports DDAEOMI. Pourquoi ? « Il y a un vrai sujet » nous glisse une source proche du dossier qui estime aussi que « les associatifs autonomistes ne sont pas tous de bonne foi, certains manipulent ces jeunes désœuvrés et leur conseillent de ne pas remplir les papiers officiels ».   

Une fois déclarés mineurs isolés, les migrants sont pris en charge par les services du Conseil départemental de Haute-Garonne qui en 2021 a aidé 1111 personnes, pour un coût d’environ 54 millions d'euros sur les 235 millions de l'ASE, l'aide sociale à l'enfance. 

Selon la préfecture, les services de la mairie et du Conseil départemental étaient présents ce vendredi matin « pour effectuer un recensement des personnes » et « envisager les possibilités d’hébergement ». A l’exception de deux ou trois migrants, « tous ont refusé de se faire enregistrer ». « En fait il y a un gros turn-over, ceux qui ont rempli les papiers de la préfecture sont déjà partis, ici il ne reste que ceux qui viennent juste d’arriver » nous dit-on.

Régler le cas des « mineurs isolés » apparaît de plus en plus comme une problématique insoluble. Les expulsés du jour pourraient bien aller grossir les rangs des autres squats de Toulouse. Déplacés, encore.